Taylor Swift ou l’art de faire de la tristesse un carton planétaire (2024)

2010. Taylor Swift remporte son premier Grammy, celui du meilleur album de l’année pour le deuxième disque de sa jeune carrière, Fearless. Dans cet opus, la chanson Forever & Always évoquait sa rupture avec son copain de l’époque. Quatorze ans et huit albums plus tard, la désormais superstar planétaire vient de sortir son nouveau mastodonte, The Tortured Poets Department, dont le titre et au moins trois chansons semblent, selon l’analyse pointue des swifties, être des références directes un autre de ses exs.

Régler ses comptes avec ses anciens boyfriends est devenu une tradition pour «Tay Tay». Plus de 30 chansons sur cette thématique ont déjà été recensées dans les albums précédant celui sorti ce vendredi. Des déconvenues amoureuses qui l’ont finalement aidée à bâtir son empire musical: 170millions d’albums vendus, une tournée The Eras Tour record, et la première artiste à devenir milliardaire uniquement avec ses revenus musicaux. A croire que la tristesse fait vendre.

«On va s’identifier à une vie sombre et difficile»

«On n’est plus dans la glorification du bonheur, comme dans les décennies 1960 à1980. Désormais, ce qui fait vendre et fait écho aux consommateurs, c’est la tristesse et la nostalgie», confirme Pierre-Louis Desprez, spécialiste du marketing au sein du cabinet Kaos. «Aujourd’hui, on commence une carrière directement avec la ''sadness''», prenant l’exemple de Billie Eilish, dont le premier album contenait des singles aux titres explicites façon When the Party’s Over ou Bury a friend.

«Taylor Swift arrive à être en adéquation avec ce qui se passe dans le monde. On y assiste à une résurgence d’un esprit romantique datant du XIXesiècle», décrypte à son tour la compositrice et musicologue Béatrice Thiriet. «Avec les multiples crises de notre époque, on se projette plus facilement dans le drame, l’héroïsme, la tragédie sociale, car ça ressemble à notre monde. On ne peut pas imaginer qu’une histoire finisse bien et on va plus s’identifier à un personnage ayant une vie sombre et difficile.»

«Les femmes s’emparent de la tristesse»

Syndrome de l’époque, le torturé Batman est bien plus populaire que Superman, le super-héros au plus que parfait. Décliné au féminin, le le concept a même son petit nom, la «sad girl autumn», dont Taylor Swift est devenue l’incarnation la plus éclatante. Lancé par la rappeuse américaine Megan Thee Stallion, la «sad girl autumn» invite à sortir du cliché de la femme joyeuse, solaire et aux émotions toujours positives et à accepter la mélancolie, son chagrin. La déprime saisonnière, quoi. Celle qui nous pousse à boire des chocolats chauds en chemise à carreaux sous un plaid. Et ainsi «Tay Tay», mais aussi Billie Elish, Miley Cyrus et autres spécialistes de la rupture-qui-finit-mal se permettent de chanter leurs peines autant, si ce n’est plus, que leur joie.

taylor swift really said sad girl autumn pic.twitter.com/CDRFEK8t24

— Irene IS SEEING TAYLOR (@lillyswiftt13) September 1, 2022

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Alors évidemment, de Yesterday des Beatles jusqu’à la discographie entière de Ben Mazué, de Dinos et de Lewis Capaldi, chantonner le désespoir amoureux n’a rien de particulièrement original en apparence. Mais phénomène nouveau, «les femmes s’emparent de la tristesse, un sentiment qui leur était quasiment interdit», s’enthousiasme Béatrice Thiriet. Soit, très schématiquement, «La vie en rose» pour Edith Piaf et Ne me quitte pas pour Jacques Brel. Bien consciente d’être l’égérie de ce nouveau mouvement, Taylor Swift a même ressorti l’un de ses propres tubes, All Too Well, remasterisé en version «Sad girl autumn».

«C’est une émancipation pour la femme de pouvoir s’approprier et de s’exprimer sur le côté tragique de la vie et de la société, car dans la tristesse, il y a une liberté, un côté sauvage, rebelle, qui a longtemps été cantonné aux hommes, poursuit Béatrice Thiriet. S’il est important de célébrer ses propres triomphes – «I can buy my own flowers» chante ainsi Miley Cyrus dans son tubesque Flowers –, il reste tout aussi libérateur de s’accorder le droit au chagrin.

Du réconfort et «une béquille»

Cette captation de la tristesse permet également une plus grande largesse de paroles. «Les lyrics de Taylor Swift, c’est de la poésie, elle se revendique d’ailleurs ainsi, poursuit Pierre-Louis Desprez. Et un poète heureux, on a vite fait le tour, ça sent le sapin… Il faut de la tristesse, pour être poétesse.» Et pas n’importe quel chagrin, développe le spécialiste: «en écoutant Taylor Swift, on n’a pas envie de se suicider, on n’en sort pas plus triste qu’avant, c’est de la nostalgie presque réconfortante. C’est une béquille pour le fan, qui se dit qu’il n’est pas seul dans sa peine et dans sa morosité.»

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Car même en chantant son spleen, la superstar «n’est pas faible et reste une héroïne», soutient Pierre-Louis Drespez. La société a beau évoluer, le storytelling du rêve américain demeure solide. «L’histoire racontée à travers sa discographie n’est pas celle d’un être brisé par la vie, mais d’une irrésistible ascension jusqu’à devenir cette poétesse, un accomplissem*nt.» «C’est d’autant plus important que ce sont des femmes puissantes qui sont des ''sad girl''», conclut Béatrice Thiriet. Taylor Swift peut à la fois chanter ex et vie amoureuse compliquée qu’être la personnalité de l’année selon Time Magazine ou (peut-être) faire basculer la prochaine présidentielle américaine en une seule phrase. Sad girl et strong woman à la fois.

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Author: Pres. Lawanda Wiegand

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